COLLISION DU SOUS-MARIN ORPHÉE
AVEC LE CHALUTIER JOSE CARMEN

AU LARGE DE MAZAGAN


Les fortunes de mer sont en général assez rares, pourtant celles survenues au même endroit, impliquant les sous-marins Méduse puis Orphée, à seulement trois années d’intervalle questionnent. Dans les années 40, les eaux de Mazagan auraient-elle portée la scoumoune aux sous-marins français ?


Un peu d'histoire

   Le sous-marin Orphée a été mis en cale au chantier Augustin Normand du Havre en novembre 1928 (comme son successeur Méduse). Lancé en décembre 1931, il a été admis au service actif en octobre 1933. C'était un bâtiment de la série des sous-marins de 2ème classe du type Argonaute, ayant suivi la série des Ondine. Long de 53,60 m, large de 6,45 met d'un tirant d'eau de 4,2 m, pour un déplacement de 630 tonnes en surface, ce sous-marin pouvait atteindre 14 nœuds en surface et 9 nœuds en plongée, grâce à deux hélices entraînées par deux diesels Vicker Normand développant 1400 cv ou deux moteurs électriques Schneider développant 1100 cv. Son équipage comprenait 38 hommes d'équipage et 4 officiers.

 

 En juin 1940, la 16e DSM quittera Brest pour Casablanca. Jusqu'à son réarmement en mars 1942, l'Orphée sera mis en gardiennage à Oran. En Novembre 1942, il mènera des opérations de guerre contre les bâtiments anglo-américains. Basé ensuite à Alger à partir d'octobre 1943, il effectuera des missions de débarquement et d'embarquement de personnel sur la côte espagnole, devant Barcelone. Le 7 décembre 1943, il aperçoit un remorqueur de haute mer du camp allemand devant Toulon et attaque avec 3 torpilles ; ayant perçu une violente explosion, il présume que le remorqueur à ete touché sinon coulé.

Le sous-marin Orphée sera cité à l'ordre de la Division, « pour avoir réussi, au cours d'une patrouille, à couler à la torpille, dans le voisinage des côtes occupées par l'ennemi, un petit bâtiment allemand et à éviter, par la suite, des attaques aériennes répétées. »  

L'Orphée effectuera durant l'année 1944 des missions entre les ports d'Alger, d’Oran et de Casablanca où il sera finalement mis en réserve. En 1945, il sera utilisé en tant que bâtiment école d'écoute.

 

16 octobre 1945 : collision avec le chalutier José Carmen

   Dans la nuit du 15 au 16 octobre 1945, le sous-marin français Orphée, fait route en surface au large de Mazagan (aujourd'hui El Jadida). A 1h45, l'officier de quart aperçoit un feu blanc loin devant le sous-marin. Cinq minutes plus tard, il fait modifier la route de 5° vers tribord. A 2h19, le commandant prévenu par l'officier de quart monte sur la passerelle pour observer à la jumelle le chalutier qui se trouve sur bâbord, à une distance d'environ 800 mètres ; il estime que le chalutier fait une route sensiblement parallèle à celle de l'Orphée. Considèrent que la situation est claire, le commandant regagne sa chambre où il n'est pas depuis 30 secondes, qu'il perçoit le choc d'une collision. Remonté en passerelle, il constate que les moteurs sont stoppés et la barre de direction à droite de 25° ; quant au chalutier, il lui apparaît à la hauteur de la tourelle arrière après avoir abordé le sous-marin à l’extrême avant.  

L'officier de quart rédige son rapport : « Alors que L'Orphée , nettement engagé, à son avant à peu près à la hauteur de l'arrière du chalutier, celui-ci vient en grand à droite. L'Orphée dégage aussitôt vers la droite. Avant de pouvoir mettre en arrière, le choc se produit à notre extrême avant bâbord. »

 

 L’Orphée recueille l'équipage du chalutier espagnol qui avait évacué son bateau en mettant à l'eau un youyou. Il tente ensuite de remorquer le chalutier, considèrent que la voie d'eau qui avait provoqué l'enfoncement de son étrave ne constituait pas un obstacle à cette opération. Trois essais de remorquage sont ensuite entrepris par l'arrière du chalutier compte tenu de la présence d'une brèche à l'avant, mais la remorque casse à chaque fois. De l'aide est alors demandée par radio. Le Rusé, (escorteur de 370 tonnes) et deux remorqueurs sont mis en route. Le Rusé arrive sur les lieux à 11 heures et met en action une pompe à bord du chalutier pour tenter de l’alléger. Malheureusement et lors de la quatrième tentative, le chalutier coule après une demi-heure de remorquage, par 36 mètres de fond devant Mazagan. L'équipage sera ramené à Casablanca par Le Rusé et l'Orphée. Aucune victime ne sera à déplorer.

L’enquête sur les responsabilités de la collision sera menée pratiquement jusqu'à la fin 1945. La responsabilité du chalutier, qui était venu percuter le sous-marin sur bâbord, ne faisait aucun doute. Toutefois, un fait singulier doit être évoqué : lors de la déposition du patron du chalutier espagnol, les autorités militaires de la marine au Maroc remarquèrent que ce dernier semblait avoir mauvaise vue et firent en sorte , avec l'accord de l'armateur, de l'envoyer chez un médecin militaire spécialiste  pour un examen ophtalmologiste. Ce médecin donnera de l'examen les résultats suivént (document établi à Casablanca par l’Infirmerie Centrale de Casablanca, le 20 octobre 1945) : « Sans verres correcteurs, il y a une vision pour l’œil droit de 1/10e et pour l’œil gauche de 1/10e. Avec correction par des verres, il arrive à avoir une acuité visuelle de, v.o.d = 9/10e avec (30°- 0.75)- 5 ; v.o.g = 6/10° avec (150° - 1) – 5, il n'a pas de lésions du fond de l’œil appréciable » 

On l'aura compris, il n'en fallu pas davantage pour que la responsabilité du patron pécheur penche encore un peu plus dans le mauvais sens. L'histoire ne dit pas si ce patron pêcheur fut invité à compléter ses examens médicaux.   

 

L'explosion de la batterie condamne le sous-marin Orphée.

   Le 1er avril 1946, l'Orphée est au mouillage de Casablanca.

 

 Le commandant demande de vérifier si le déchargement d'hydrogène de la batterie, après une charge était normal. Il est prévu qu'un essai soit réalisé le samedi 2 mars. Une explosion de la batterie provoque deux morts et cinq blessés, entraînant le désarmement de l'Orphée par ordre du 11 mars 1946. Par la Dépêche Ministérielle n°325 EMGM/1 du 26 mars 1946.  

 

 Georges Kévorkia

Auteur de l'ouvrage Accidents des sous-marins français 1945-1983 (Marines Éditions)

 

 

 

 

 

Pierre Larue

Chapeau, calibrage du texte original et choix des illustrations pour le site AAMR