Dernières plongées sur le sous-marin MEDUSE

A la fin de l'été 58, Jules Manganelli, scaphandrier professionnel, abandonne définitivement l’espoir de pouvoir renflouer le sous-marin Méduse. Après trois chantiers,  il jette l'éponge...

 Mon oncle, un pionnier de la plongée

En 59, mon oncle Jean Gonzales est incontestablement le pionnier de la plongée subaquatique d'El Jadida, sa ville natale. Employé par l'administration des Travaux publics, il est  responsable du garage municipal près de la gendarmerie. Sa passion pour l'océan débute par la chasse sous-marine en 1954. Il utilise plus tard, dans un cadre professionnel, un appareil de plongée bi-bouteilles à air comprimé Commeinhnes (antérieur et très proche du célèbre scaphandre autonome Cousteau-Gagnan) qui équipe  les Travaux publics de toutes les villes marocaines proches du littoral. Sans formation spécifique, uniquement guidé par son bon sens et son intelligence pratique, il parvient à maîtriser cet outil par empirisme. Son initiative hardie, impensable aujourd'hui où toutes les activités professionnelles à risques exigent des qualifications reconnues par moult « parchemins ».

              
                                          Jean Gonzales (photo Pierre Larue)                    Jean jouant avec un poulpe (photo Pierre Larue)


En décembre 1958, il effectue un stage de formation plongée au GERS de Casablanca. Jeannot montre d’indéniables compétences pédagogiques, initiant un groupe de pompiers d’El Jadida à la plongée subaquatique dans les eaux troubles de la darse du port, à partir des  installations du Club nautique. Il construit plusieurs boîtes étanches sur mesure pour différents types d'appareils photographiques dont un à soufflet ! Afin de réussir la complexe étanchéité des commandes, il utilise avec astuce les  mécanismes munis de presse-étoupe des compteurs d'eau reformés de la ville ! Il restaure un Davis, appareil de sauvetage des sous-mariniers fonctionnant à l'oxygène pure, récupéré en 58 à l’intérieur du sous-marin Méduse par les scaphandriers de l'équipe Marchal. Il abandonne rapidement l'utilisation délicate et dangereuse de cet appareil pour lui préférer définitivement les classiques bouteilles de plongée gonflées à l'air comprimé. Cet équipement enfin accessible aux amateurs est commercialisé à Casablanca par la Spirotechnique, filiale de la société Air Liquide.

 
Nos plongées sur le sous-marin Méduse

Nous attendons le moment propice pour plonger sur cette épave mythique. Le 22 février 59, les conditions météo sont enfin réunies. Nous transportons notre équipement lourd et encombrant par un minuscule sentier serpentant entre les blocs monumentaux tombés de la falaise. Nous débouchons sur le lieu de notre mise à l'eau, face à l’extrémité du périscope qui matérialise le milieu du sous-marin. L'excellente météo nous permet de nous immerger sans casse pour débuter par un parcours en surface sur tuba, afin d'économiser l'air de nos bouteilles. La visibilité aujourd'hui exceptionnelle approche les 10 mètres. Notre objectif consistera à explorer le plus complètement possible l’extérieur du navire. Arrivés à la hauteur du coupe-filet surmontant la proue du bâtiment, nous passons sur l'embout de notre détendeur. Nous descendons à 5 mètres pour longer le flan tribord envahi par les laminaires qui ondulent avec la houle.  Le fuselage, posé sur le fond en pente, est nettement incliné de la proue vers la poupe. La présence de nombreuses brèches dans la coque explique l'impossibilité aujourd'hui de le renflouer. A l'issue d'une progression vers la poupe nous  découvrons deux énormes hélices en parfait état, qui indiquent le point le plus bas du submersible (15 mètres de profondeur.) Le gouvernail de direction et celui de plongée matérialisent l'extrémité arrière.  Nous revenons vers l'avant en « survolant » le pont jusqu'aux restes du kiosque dont l'enveloppe métallique de protection a disparu ; il est repérable à son périscope. L'ouverture principale d'accès à l’intérieur du navire est réservée aux plongeurs équipés d'un « narguilé ». Jeannot découvre plusieurs isolateurs provenant des antennes radio. Devant le kiosque, le canon principal de 75 mm  est totalement colonisé par les laminaires: difficile de distinguer les volants de réglage. Nous revenons vers la proue côté bâbord. Nous découvrons des cubes de plomb empilés qui servaient à équilibrer l'assiette du sous-marin lors des manœuvres de ballastage. Je me glisse sous ce qui m’apparaît être un long cylindre. Jeannot m’explique par gestes qu'il s'agit d'une torpille ! Le temps passe vite, trop vite lorsque vous etes sous l’eau !

  

JP Guilabert avec les bouteilles de plongées.
à gauche un montage avec des bouteilles Commeinhes               Le Cap Blanc (Jorf Lasfar) par gros temps
à droite une bouteille 2m3 Spirotechnique

A l’époque nous n’avions pas de manomètre pour vérifier la quantité d’air restant dans nos bouteilles. C’est le début de difficultés à aspirer l’air de l’embout qui donnait le signal de remontée ! Dans le cas de cette plongée, la profondeur étant négligeable, nous n’avions pas à faire de palier de décompression.

 

Après la fin des tentatives de récupération par l'équipe Marchal, nous reviendrons quatre fois sur cette épave pour l'explorer completement. Nous serons les derniers à avoir plongé sur le submersible.

Après une immersion de 76 ans (nous sommes en 2018!), le sous-marin Méduse, exposé à la houle destructrice et à la corrosion marine, est, aujourd'hui, complètement disloqué.     

 

                                                                             Jean-Pierre Guilabert et Pierre Larue